TRAIS LINGUAS – TROIS LANGUES – TRE LINGUE

LA LUTTE DE L’AUTRICHE ET DE LA HONGRIE POUR LE STILFSERJOCH

Jusqu’en 1918, la frontière entre l’Italie et la double monarchie austro-hongroise traversait le col du Stelvio. Une frontière qui fut le théâtre de combats acharnés entre 1915 et 1918. Suivez les traces encore visibles aujourd’hui de cette période mouvementée. Le tronçon « Trais Linguas » (trois langues) vous permettra de mieux comprendre le point de vue de l’Autriche-Hongrie.

Dans les environs immédiats du Dreisprachenspitze, les thèmes suivants sont abordés :

    • le dispositif de défense de l’Autriche-Hongrie ;
    • les troupes de l’ancienne Autriche dans la zone de combat du col du Stelvio ;
    • la guerre sur les sommets et les crêtes le long du front de l’Ortler ;
    • les conditions d’hébergement et d’approvisionnement ;
    • les violations des frontières et de la neutralité – le rôle de la Suisse ;
    • l’importance de l’artillerie autrichienne dans la guerre de montagne de 15/18.

Point de départ et d’arrivée : Stilfserjoch – col (accès possible depuis le col de l’Umbrail via le territoire suisse)

Durée : 2 h 30 (depuis Stilfserjoch)

Balisage : blanc-vert-rouge

Niveau : promenade facile

ITINÉRAIRE « TRAIS LINGUAS »

A : Ferdinandshöhe (col du Stelvio) – B : Dreisprachenspitze – C : Hôtel Dreisprachenspitze – D : plaque commémorative austro-hongroise – E : camp de Lempruch – F : poste de sous-officier « Hungerburg » – G : poste d’artillerie « Goldsee » – H : « Schweizergraben » – I : poste de sous-officier « Frohburg » – K : sentier muletier vers le col de l’Umbrail

UN ITINÉRAIRE DU POINT DE VUE DE L’HISTOIRE MILITAIRE

Une description détaillée de l’itinéraire figure dans le guide « Der militärhistorische Wanderweg Stelvio-Umbrail » (Le sentier de randonnée historique et militaire Stelvio-Umbrail) à partir de la page 55. Les explications suivantes mettent en lumière les lieux situés le long du parcours et clarifient leur importance historique.

 

Das Stilfserjoch und sein Strassenbau

Le col du Stelvio et sa construction

Un ouvrage routier hors du commun ! Construit en six ans, de 1820 à 1826, sous la direction de l’architecte impérial Carlo Donegani, qui fut anobli en 1840 sous le nom de Carl Donegani vom Stilfserberg. adjoint au bâtiment Carlo Donegani, qui fut élevé en 1840 au rang de noblesse autrichienne sous le nom de Carl Donegani vom Stilfserberg. 48 virages en épingle à cheveux sur la rampe nord-est (Prad dans le Tyrol du Sud) et 34 virages en épingle à cheveux interrompus par six tunnels mènent de la Valteline (Bormio) au plus haut col routier des Alpes. Aujourd’hui, la route du Stelvio attire chaque année des centaines de milliers d’amateurs de vélo et de moto, à tel point qu’il est pratiquement impossible de trouver une place de parking libre sur le col situé à 2757 m d’altitude pendant les mois d’été. Voilà pour les faits, mais comment en est-on arrivé à entreprendre un projet routier aussi ambitieux ?

Donegani
Carlo Donegani (1775 – 1845), constructeur de la route du Stelvio (période de construction : 1820-1826) et de la route du col du Splügen (période de construction : 1821-1823). Photo : Fondazione Donegani
Stilfserjochstrasse
La rampe tyrolienne du Stelvio, vue depuis la Payerhütte sur l’Ortler. Photo : Wikipedia.

Utilisée régulièrement comme route militaire

Le trafic routier via le col du Stelvio n’a jamais revêtu une importance suprarégionale. Le transport des marchandises s’effectuait via le col de l’Umbrail, situé 200 mètres plus bas et objectivement moins dangereux. Les échanges commerciaux régionaux entre le Tyrol du Sud et la Valteline étaient toutefois réguliers. Ce passage était déjà utilisé à l’âge du bronze.

À l’époque romaine, un sentier muletier traversait le col, qui revêtait une importance militaire. Le passage permettait un déplacement rapide des troupes pour protéger la Via Claudia Augusta, qui passait par le col de Reschen.

Le chemin longeait le versant est (orographiquement gauche) de la vallée. À partir du village de Stilfs, le sentier montait jusqu’à l’alpage Prader Alm et, via l’actuelle Furkelhütte (voir « Kleinboden »), longeait le flanc de la montagne jusqu’au lac Goldsee. On peut supposer que le sentier de randonnée actuel correspondait à peu près à l’itinéraire d’alors, connu sous le nom de « Wormisionssteig » ou « Wormser Steig ». Worms était le nom allemand de Bormio et le col de l’Umbrail s’appelait à l’époque « Wormser-Joch ».

Il ne faut toutefois pas surestimer l’importance de ce passage. On ne se souvenait de cette variante que lorsque des troupes devaient être déplacées, notamment pendant la guerre de Trente Ans. Ainsi, en 1633, une armée milanaise composée de 12 000 soldats et 1600 chevaux franchit le col pour venir en aide à l’archiduc Léopold d’Autriche. En 1634, le frère du roi d’Espagne conduisit 21 000 soldats dans le Vinschgau.

Au cours du Risorgimento, mouvement d’unification de l’Italie accompagné de guerres de libération contre l’Empire des Habsbourg, des mesures militaires s’imposèrent à nouveau. Les territoires alors autrichiens de la Vénétie et surtout de la Lombardie se révoltèrent contre la domination des Habsbourg et, pour maintenir l’ordre et la tranquillité, il fallut construire une route militaire efficace. Les troupes devaient pouvoir être déplacées le plus rapidement possible des zones centrales autrichiennes vers Milan.

À l’époque de ces mouvements insurrectionnels (1815-1870), trois empereurs autrichiens étaient chargés de diriger l’empire. L’empereur François Ier (1804-1835) fut suivi par son fils Ferdinand Ier (1835-1848) et, après « l’année révolutionnaire européenne 1848 », par son neveu, le légendaire François-Joseph Ier (1848-1916).

 

Franz I Von Österreich
François Ier, empereur d’Autriche et dernier empereur du Saint-Empire romain germanique jusqu’en 1806, a ordonné pendant son règne la planification et la construction de la route passant par le col du Stelvio. La « Franzenshöhe », située à 2193 mètres d’altitude sur la route du col, rappelle son initiative.
Amerling Ferdinand I
Ferdinand Ier succéda à son père sur le trône impérial en 1835. Le prince héritier, âgé de 32 ans lors de l’inauguration, donna son nom à la « Ferdinandshöhe » (col du Stelvio) et à la position d’artillerie qui fut ensuite installée sur le col, la « Ferdinandsstellung ».

LE COL DE STILFSERJOCH OU LE COL DE L’UMBRAIL : UNE QUESTION DE NEUTRALITÉ

Comme déjà mentionné, le transport des marchandises s’effectuait principalement via le col de l’Umbrail. À partir du début du XIXe siècle, cette route était praticable par des charrettes, mais pas par des chariots. Elle servait également régulièrement au transfert de troupes de la Lombardie vers le Tyrol et vice versa. L’aménagement de cette voie de transit aurait sans doute été beaucoup moins coûteux que la construction d’une nouvelle route via le col du Stelvio. Du côté autrichien, des propositions ont été faites, mais elles ont échoué en raison de la décision du Congrès de Vienne de 1815 d’imposer la neutralité à la Suisse. Celle-ci autorisait certes la construction d’une route transfrontalière, mais l’utilisation de cette route pour le transfert de troupes étrangères était hors de toute possibilité d’interprétation politique.

 

DÉVELOPPEMENT TOURISTIQUE

La construction de la route, mais aussi l’esprit de l’époque, ont fait du Stelvio un lieu d’excursion pour les personnes aisées. Le tourisme dans les Alpes a commencé à prendre pied et des services postaux réguliers ont permis aux nobles de franchir les cols alpins. Très rapidement, des hébergements ont été construits dans des endroits offrant les plus belles vues et une restauration digne de ce nom a été mise en place. Des auberges, voire de grands hôtels, ont vu le jour le long des routes du col.

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Le col du Stelvio avec les hôtels « Ferdinandshöhe » et « Dreisprachenspitze ». À gauche sur la photo, on reconnaît le service routier italien à la bifurcation vers le col de l’Umbrail. Source : Postkartenlexikon.de
Hotel Ferdinandshöhe
Vue du col du Stelvio avant la guerre. Au premier plan, l’hôtel Ferdinandshöhe. Source : Postkartenlexikon.de
Franzenshöhe
L’hôtel sur la Franzenshöhe. Source : Postkartenlexikon.de

Ascension le long de la frontière

Après un virage en épingle à cheveux sur le versant sud-ouest, la courte ascension du col du Stelvio vers le Dreisprachenspitze longe très rapidement la crête qui marquait jusqu’en 1919 la frontière entre l’Autriche-Hongrie et l’Italie. Aujourd’hui, cette crête sépare les deux provinces italiennes de Lombardie et du Tyrol du Sud.

Une fois sur la crête, on a une vue impressionnante sur le Trafoital avec les 22 virages en épingle à cheveux de la route du col entre le Franzenshöhe et le Ferdinandshöhe. À quelques mètres à l’est de la ligne frontalière, on aperçoit les fondations des fortifications qui faisaient partie de la ligne de défense autrichienne le long de cette crête frontalière. C’est depuis ces abris situés à l’arrière du versant que les positions de tir sur la frontière proprement dite étaient occupées. Aujourd’hui, celles-ci ne sont plus visibles que de manière sporadique, car différentes traces de chemins apparues au fil des ans empêchent de les identifier clairement. La représentation ci-dessous permet toutefois de les localiser approximativement.

 

1. Ferdinandshöhe – 2. Maison Enzian (ancienne garde financière italienne) – 3. Logements autrichiens à l’arrière du versant – 4. Poste de mitrailleuses autrichien – 5. Hôtel Dreisprachenspitze – 6. Le « Schweizergraben » autrichien – 7. + 8. Logements autrichiens à l’abri de la frontière suisse. Représentation : Accola d’après le plan original de Lempruch, archives : MUSEUM 14/18.
Les deux illustrations montrent le poste de mitrailleuse (4) et la vue depuis la Dreisprachenspitze sur le col. Photos : collection Imboden, archives : MUSEUM 14/18.
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Extrait du plan original de Lempruch (voir ci-dessus). Source : MUSEUM 14/18.
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La position Mg telle qu’elle se présente aujourd’hui. Les matériaux utilisés à l’époque sont remarquables. Le béton était une denrée rare du côté autrichien et n’était utilisé que dans des cas très spécifiques. Il servait notamment à construire les fondations des téléphériques, des cuisinières et des emplacements d’armes exposés. Sinon, seules les pierres provenant des environs immédiats étaient utilisées pour la construction du mur.

Le point de départ à la Dreisprachenspitze

Un point insignifiant à 2843 m d’altitude, avec trois noms différents selon la langue. La Dreisprachenspitze, appelée Piz da las trais Linguas en romanche ou Cima Garibaldi, est l’un des points névralgiques des combats de la Première Guerre mondiale. C’est ici que se trouvait la borne commune entre l’Italie, l’Autriche-Hongrie et la Suisse. Cette borne, qui porte le numéro 1, est toujours là, à 2850 mètres d’altitude. Depuis l’été 2014, trois personnages en fer la gardent et racontent aux visiteurs l’histoire troublante qui s’est déroulée ici il y a plus de 100 ans.

 

Le groupe de trois soldats alpins au lever du soleil sur la Dreisprachenspitze, été 2016. À gauche : un soldat italien avec la plume caractéristique sur son chapeau ; au centre, un soldat autrichien avec son chapeau de chasseur et son plumet ; à droite, un fantassin suisse avec son shako surmonté d’un pompon. Installation : Association Stelvio-Umbrail 2014 ; photo : Daniel M. Sägesser, archives : MUSEUM 14/18.

L’hôtel Dreisprachenspitze

L’impressionnant bâtiment situé au sommet du Dreisprachenspitze appartenait à la famille Karner de Prad. Elle était également propriétaire de l’hôtel Post, où le commandement de la brigade autrichienne avait établi son quartier général. L’histoire de la construction de l’hôtel Dreisprachenspitze est peu documentée, mais différentes vues (dont la date ne peut malheureusement pas être déterminée avec certitude) indiquent que le bâtiment a subi plusieurs transformations et agrandissements.

Bon à savoir : l’actuel restaurant Garibaldi a été construit dans les années 50 et ne se trouve pas à l’emplacement exact de l’hôtel d’époque. Les fondations de l’hôtel sont toutefois bien visibles et se trouvent entièrement sur le sol suisse.

L’hôtel Dreisprachenspitze vu depuis le Breitkamm, à gauche les refuges autrichiens, à l’arrière-plan de l’hôtel le sommet du Kleiner Scorluzzo, à gauche dans le brouillard la Naglerspitze. Source : collection Imboden, archives : MUSEUM 14/18.

Utilisation comme logement militaire

Après la mobilisation en août 1914, les troupes suisses réquisitionnèrent l’hôtel pour y loger leurs détachements de garde-frontières. L’utilisation du bâtiment fut réglée par contrat avec la famille autrichienne propriétaire. Avec le déclenchement de la guerre (en 1914, l’Autriche-Hongrie était en état de guerre avec la Serbie et la Russie), le tourisme s’est effondré et l’établissement ne pouvait plus compter sur une clientèle régulière. L’intention des soldats suisses d’utiliser le bâtiment désormais vide a donc dû être rapidement acceptée par la famille Karner.

Il faut également tenir compte du fait que les mesures de défense de l’Autriche-Hongrie en cas de déclenchement d’une guerre avec l’Italie prévoyaient de contrer une avancée italienne dans la vallée et d’abandonner sans combat le col du Stelvio. Pour eux, la maison n’avait donc aucune importance militaire.

 

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Lecture des noms des membres du détachement frontalier sur la terrasse devant l’hôtel ; source : Archives fédérales, fonds E 27, archives : MUSEUM 14/18
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Un groupe d’observateurs consigne les activités des belligérants depuis la terrasse de l’hôtel. Source : Archives fédérales, fonds E 27, archives : MUSEUM 14/18
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Un détachement en route pour ravitailler les troupes au Dreisprachenspitze. Source : Archives fédérales, fonds E 27, archives : MUSEUM 14/18
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L’équipe de cuisine au sommet de la Dreisprachenspitze. Ici aussi, l’eau était une denrée rare et devait être fondue à grand-peine et à grands frais. Source : Archives fédérales, fonds E 27, archives : MUSEUM 14/18

Le tracé de la frontière

Les bornes frontalières n° 1 et n° 2, encore d’origine, se trouvaient juste au sud-est de l’hôtel, en quelque sorte sur sa terrasse. Alors que la borne n° 1 marquait le point de jonction entre trois pays, la borne n° 2 indiquait le tracé de la frontière avec le Breitkamm, c’est-à-dire la frontière avec la double monarchie austro-hongroise.

 

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La borne frontière n° 1 actuelle, C.S, signifie « Confederaziun svizra », c’est-à-dire « Confédération suisse » en langue romanche. L’année 1865 indique la date du relevé topographique ou l’année de pose de la borne. « R.I. » sur le côté sud signifie « Repubblica Italiana ». Derrière, le restaurant Garibaldi, nommé d’après le combattant italien pour la liberté du Risorgimento. Photo : Marcia Phillips, Pro Monstein, 2009.
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La borne frontière n° 2 et le marquage d’un point de triangulation présumé pour l’arpentage du territoire. On ignore à quel moment ce marquage a été apposé sur la Dreisprachenspitze. Ce point topographique était d’importance secondaire pour le mesurage de la frontière nationale. Visible derrière les nappes de brouillard : le sommet imposant de l’Ortler. Photo : Marcia Phillips, Pro Monstein, 2009.

La numérotation des bornes frontalières n’est pas continue dans toute la Suisse. Au passage frontalier de Bâle-Weil, on trouve également une borne frontalière n° 1, il en existe une autre au Tessin et certainement ailleurs. Le système selon lequel ces numéros ont été attribués n’est pas évident. De plus, toutes les bornes n’ont pas été identifiées par un numéro distinct. Les bornes situées entre des « numéros indépendants » ont reçu une désignation alphabétique supplémentaire, par exemple 1A ou 12B. Le numéro 1 était simplement le point de départ d’une série de désignations qui se poursuivait ensuite de manière continue et, ce qui est déterminant ici, des deux côtés. Près du sommet trilingue, il y a donc deux bornes frontalières portant le numéro 2 et deux autres portant le numéro 3, etc. La borne frontalière n° 7 le long de l’ancienne frontière autrichienne se trouve sur la Rötlspitze, celle le long du territoire italien près du col de l’Umbrail, à l’emplacement de l’ancien poste de sous-officier n° 7.

 

Tracé de la frontière et numéros des bornes correspondantes dans la zone concernée. En regardant vers le nord-est, un œil (en bonne santé) peut distinguer, à partir de la borne n° 1, les bornes n° 3 et, mieux encore, n° 4. La connaissance de cette ligne est importante pour comprendre la situation frontalière pendant les années de guerre, car le tracé de la frontière sur la crête n’est pas aussi évident qu’ailleurs. Carte disponible sur : map.geo.admin.ch.

Calme et repos à l’abri de la frontière neutre

Toutes les fondations encore visibles à droite et à l’est de cette ligne frontalière sont d’origine autrichienne. La proximité immédiate de la Suisse neutre offrait aux troupes autrichiennes la possibilité de « s’installer » ici en toute sécurité et sans être dérangées, car cet espace se trouvait dans le contre-vers direct, ce qui excluait tout tir direct efficace des Italiens. Les projectiles d’artillerie ne pouvaient inévitablement déployer leur effet qu’à une grande distance de cette zone. Cela concernait en particulier les positions d’artillerie italiennes sur la Forcola et le Monte Braulio. Mais le Breitkamm constituait également une cible très difficile à atteindre pour l’artillerie positionnée sur le Passo d’Ables. Si les projectiles tirés depuis la première position tombaient à quelques mètres seulement de leur cible, ils explosaient sur le territoire suisse, ce qui constituait une violation de la neutralité. Si elles tombaient trop loin, elles atterrissaient quelque part sans faire d’effet et violaient également la neutralité de la Suisse reconnue par les deux parties. Il en allait de même pour les tirs provenant du col d’Ables : quelques mètres à gauche, le territoire neutre était touché ; quelques mètres trop à droite, les projectiles s’enfonçaient quelque part dans les pentes abruptes du Breitkamm, mais sans aucun effet à proximité immédiate de la frontière.

Il était donc recommandé aux Autrichiens de « s’installer » à proximité immédiate de l’hôtel Dreisprachenspitze et de la ligne frontière afin de trouver le calme et le repos après les privations et les combats sur le front proprement dit.

 

Les vestiges d’une cuisinière sur le Breitkamm témoignent d’une présence durable des troupes autrichiennes à la frontière suisse.

Le campement militaire autrichien situé sur la Dreisprachenspitze et à proximité des positions le long de la frontière italienne avait une double fonction. D’une part, il servait de zone de repli pour les soldats qui devaient occuper la ligne de front décrite plus haut le long de la crête frontalière (voir illustration ci-dessus). D’autre part, son emplacement permettait également d’y accéder en toute sécurité grâce à un téléphérique et d’assurer le ravitaillement. On trouve donc sur le Breitkamm non seulement les vestiges de baraquements et d’au moins une cuisine, mais aussi ceux d’un dépôt de munitions, d’un poste de secours et les fondations d’une station de téléphérique.

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Le poste sanitaire sur le Breitkamm. Photo : collection Knoll, archives : MUSEUM 14/18
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Les logements autrichiens près de la frontière, avec l’hôtel Dreisprachenspitze en arrière-plan. Photo : Collection Imboden, archives : MUSEUM 14/18

Le petit trafic frontalier

La proximité immédiate des troupes frontalières suisses a naturellement donné lieu à de fréquents échanges d’idées. À cela s’ajoutait un commerce animé de denrées alimentaires et d’objets de guerre. Le chocolat suisse était échangé contre des « souvenirs » autrichiens tels que des munitions non explosées ou des pipes. Ces dernières étaient même fabriquées spécialement pour les soldats suisses.

Les bornes frontalières au sommet de la Dreisprachenspitze sont également devenues un lieu de rencontre pour les généraux. Diverses photographies témoignent de ces rencontres.

 

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Le divisionnaire Schiessle et le colonel Bridler rencontrent le capitaine Andreas Steiner, « héros de la prise du Monte Scorluzzo », au sommet de la Dreisprachenspitze. À droite, le commandant du bataillon d’infanterie 76, le major Joseph Müller. Photo : collection Müller, archives : MUSEUM 14/18
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Échange d’idées et commerce de marchandises dans le cadre du « petit trafic frontalier ». Des soldats autrichiens et suisses discutent à l’hôtel Dreisprachenspitze par-dessus la clôture frontalière. Source : Archives fédérales, fonds E 27, archives : MUSEUM 14/18
Des officiers autrichiens rencontrent leurs camarades suisses près du panneau d’orientation géographique situé près de l’hôtel Dreisprachenspitze. Le panneau rond en marbre se trouve aujourd’hui sur la terrasse du restaurant Garibaldi. Photo : Archives nationales autrichiennes de Vienne, numérique : archives MUSEUM 14/18.

DÉFI LOGISTIQUE

Les téléphériques : les nerfs de la supply chain

L’approvisionnement des soldats stationnés en montagne était une priorité absolue pour toutes les parties concernées. « Sans bouffe, pas de combat ! » Ce vieil adage militaire s’appliquait aussi bien au front qu’au-delà des frontières. Outre la nourriture, le bois nécessaire au chauffage et à la cuisine dans les positions élevées, où les moyens étaient rares, figurait également sur la liste des besoins quotidiens. Il fallait en outre du bois de construction pour ériger de nouvelles positions ou entretenir celles qui existaient déjà, et pour les défendre, il fallait sans cesse commander des « munitions ».

La mise à disposition de tous ces biens dans la vallée était déjà un défi en soi. Au cours des dernières années de la guerre, tout manquait. L’approvisionnement quotidien des positions du front confiait aux logisticiens des tâches supplémentaires bien plus difficiles.

La disponibilité de téléphériques était indispensable pour approvisionner les positions en altitude.

 

 

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Le téléphérique reliant Franzenshöhe au camp militaire situé au sommet du Dreisprachenspitze. Photo : collection Knoll, archives : MUSEUM 14/18
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La station supérieure du téléphérique depuis Franzenshöhe, sur le Breitkamm. Photo : collection Knoll, archives : MUSEUM 14/18

Les Italiens et les Autrichiens ont construit un grand nombre de ces voies ferrées tout le long du front. Au début de la guerre, les connaissances techniques nécessaires à la construction de telles installations étaient quasi inexistantes. Seule la Bavière disposait de voies ferrées secondaires pour approvisionner les fermes isolées, et c’est donc le « Corps alpin allemand » qui a fourni le savoir-faire nécessaire à l’armée autrichienne. On peut supposer que l’Italie, ancien « allié de la Triple Alliance », a également profité de ces connaissances.
La Suisse a complètement renoncé à l’utilisation de téléphériques de transport. La construction de téléphériques militaires dans la Confédération ne devait commencer qu’après la Première Guerre mondiale.

 

Aperçu des téléphériques construits dans la région de l’Ortles jusqu’à la fin de la guerre. Illustration tirée de : Accola/Fuhrer, Stilfserjoch-Umbrail 1914-1918, Documentation, Militärgeschichte zum Anfassen, Au, 2000.

APPROVISIONNEMENT DU FRONT

Le point central de l’approvisionnement le long du front de l’Ortler était la Franzenshöhe. Avant que les quatre lignes ferroviaires secondaires puissent transporter les marchandises vers les positions à partir de cet endroit, le matériel nécessaire devait y être acheminé. Il est donc intéressant de jeter un coup d’œil aux maillons précédents d’une chaîne de transport complexe.

Les marchandises provenant du territoire du Reich étaient acheminées par chemin de fer via la ligne du Brenner (ouverte en 1867) ou la vallée de Pustertal (ouverte en 1871) jusqu’à Bolzano, puis jusqu’à Merano, qui disposait depuis 1881 d’une liaison à voie normale avec la ligne du Brenner. À Merano, les marchandises étaient transbordées sur des véhicules du chemin de fer à voie étroite qui traversait le Vinschgau, ouvert en 1906.

Après 50 kilomètres supplémentaires, le chemin de fer du Vinschgau atteignait la petite gare de Spondinig, un hameau discret situé à l’est de la commune de Schluderns. Les wagons y étaient déchargés et les marchandises entreposées.

 

Spondinig, à quelques kilomètres au nord-est de Prad, à l’embranchement de la route du Stelvio, sur une carte postale de 1905. L’hôtel Posthotel Hirsch a ouvert ses portes cette année-là et a hébergé pendant la guerre le commandement d’étape et notamment l’hôpital militaire. Au plus bas de l’horizon, on aperçoit le col du Stelvio. Photo : Postkartenlexikon.de

L’ÉTAPE

Spondinig était exploitée au sens large comme une étape, une installation logistique d’approvisionnement. C’est là que se trouvaient les services arrière tels que les unités sanitaires, les unités de ravitaillement, les unités administratives et les unités de maintenance. Les membres du ravitaillement étaient ensuite chargés de transporter les marchandises vers les points d’approvisionnement proches du front. Pour ce faire, on utilisait des camions, mais aussi et surtout des charrettes. Enfin, des chevaux de bât, mais aussi des chiens étaient également utilisés pour le transport.

 

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Une colonne de mules transportant des munitions. Photo : Collection Knoll, archives : MUSEUM 14/18
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Transport du bois assuré par des charrettes tirées par des chiens. Photo : Collection Knoll, archives : MUSEUM 14/18

SERVICES SANITAIRES

Les soins et le traitement spécifique des soldats malades et blessés incombaient également à l’arrière. Le sauvetage et le transport des personnes concernées vers les installations appropriées étaient toutefois du ressort des troupes du front. À cette fin, les unités disposaient d’une patrouille sanitaire composée de quatre « brancardiers ».

Les dirigeants partaient du principe qu’après et pendant un combat, environ 10 % des effectifs d’une unité seraient touchés par des blessures. Parmi eux, on estimait que 25 % seraient des soldats morts, 25 % seraient gravement blessés et 50 % souffriraient de blessures légères. Avec un effectif moyen de 140 hommes par unité, 14 soldats devaient donc être gravement blessés et évacués par le « circuit des blessés ».

Les premiers soins étaient prodigués sur place par des camarades. Pour cela, chaque soldat disposait d’une « trousse de secours » contenant le matériel nécessaire pour désinfecter et panser les blessures par balle et par éclats.

 

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Des secouristes évacuent un blessé et le transportent vers un poste de secours. Photo : Collection Knoll, archives : MUSEUM 14/18
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Le poste de secours au sommet du Dreisprachenspitze. Photo : collection Knoll, archives : MUSEUM 14/18

Ils étaient ensuite transportés par les brancardiers vers le premier centre médicalisé, appelé « Hilfsplatz » (poste de secours). Un tel centre était également installé à la Dreisprachenspitze, où un premier triage était effectué entre les blessés graves et les blessés légers. Ces derniers étaient transférés vers un « poste de soins pour blessés légers ». En fonction de l’évolution de leur état de santé, les patients étaient soit renvoyés directement dans leur unité, soit admis dans un « hôpital de campagne » où leur sort était décidé.
Les blessés graves étaient admis au « poste de secours », où ils recevaient des soins comparables à ceux dispensés aujourd’hui dans les services d’urgence et les unités de soins intensifs des hôpitaux. Les interventions chirurgicales, y compris les amputations, faisaient partie des tâches d’un grand nombre de médecins et d’infirmières. L’emplacement de ces postes de secours dans le secteur de défense I ne peut être déterminé avec certitude. Il est possible qu’un tel poste ait été installé à Prad.
Si la personne touchée survivait à l’intervention, elle était transportée vers un « hôpital de campagne » qui était exploité pour le secteur de l’Ortler à Spondinig. Il est concevable que le « poste de secours » se trouvait également à cet endroit. La proximité immédiate du « cimetière militaire », qui était toujours aménagé à proximité des postes de secours ou des hôpitaux de campagne, est un triste indice qui corrobore cette hypothèse.

 

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Chambre d’hôpital dans un hôpital de campagne. Il n’existe pratiquement aucune image de qualité utilisable de l’hôpital de Spondinig. Image symbolique, source : Süddeutsche Zeitung.
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Le cimetière des héros près de Sponig pendant la guerre. Photo : Collection Knoll, archives : MUSEUM 14/18
Bibliographie : il existe de nombreuses publications sur les services sanitaires pendant la Première Guerre mondiale. Recommandation : Lüchinger Stephan / Brunner Theodor, « Verwundetentransport im Ersten Weltkrieg », GMS Jahresschrift 2004.

Le « camp Lempruch »

À environ un kilomètre au nord-est du sommet de la Dreisprachenspitze, nous tombons sur les fondations d’un impressionnant complexe d’hébergement. On reconnaît les contours des baraques, les installations de cuisine et les fondations en béton d’une station de téléphérique qui assurait l’approvisionnement de ce site depuis la Franzenshöhe. Ces installations ont été baptisées du nom du deuxième commandant du district de défense I, le colonel Moritz Erwin Freiherr von Lempruch, et ont été consignées dans les archives militaires et l’historiographie sous le nom de « camp de Lempruch ».

 

Le « camp de Lempruch », situé à proximité immédiate de la frontière suisse, sur une photo prise par la section d’information de l’armée suisse en 1917. Source : Archives fédérales, fonds E 27, archives : MUSEUM 14/18.

Dans le camp de Lempruch, qui comprenait également les autres installations situées le long du Breitkamm, on trouvait presque tout ce dont un soldat, et en particulier un officier, pouvait rêver. Il y avait un bain public, certaines sources mentionnent également un « casino avec la possibilité de projeter des images animées », devant les baraquements se trouvaient des « jardins d’herbes aromatiques », le bien-être physique et la santé étaient pris en compte et les premières pièces d’artillerie antiaérienne assuraient la protection contre les attaques aériennes. L’alimentation électrique locale fournissait la lumière électrique, des lignes téléphoniques permettaient de communiquer avec les positions du front et les installations dans la vallée.
Les troupes revenant du front devaient pouvoir se reposer ici et le « camp de Lempruch » offrait presque tout le confort attendu. Il comprenait également une chapelle dont nous ne trouvons plus les plans aujourd’hui, mais dont l’existence est documentée par des photographies et des illustrations artistiques.

 

Le camp de Lempruch dans une représentation du peintre d’art sacré suisse Augustin Meinrad Bächtiger (* 12.5.1888 à Mörschwil, † 4.5.1971 à Gossau), qui a lui-même servi dans la garde-frontière au sein du bataillon de fusiliers 82 de Saint-Gall, stationné en janvier 1917 à l’Umbrail et à la Dreisprachenspitze. Sur la photo, on reconnaît à gauche la chapelle du camp de Lempruch et à droite l’emplacement du poste de sous-officier suisse. Photo : propriété de la famille, copie numérique dans les archives : MUSEUM 14/18.

MORITZ ERWIN FREIHERR VON LEMPRUCH

Quiconque s’intéresse aux événements militaires qui se sont déroulés le long du front de l’Ortler tombe immanquablement sur le nom de « Lempruch ». Des chapelles, des ponts et des rues portent son nom et rappellent le charismatique commandant du district de défense I. Les titres de citoyen d’honneur qui lui ont été décernés par Glurns, Prad, Stilfs et Taufers témoignent de son attachement à la population locale.

Lempruch est né le 23 avril 1871 dans le duché de Carniole, aujourd’hui Novo Mesto en Slovénie. Son père (Anton) était colonel dans l’armée impériale et royale, on sait peu de choses de sa mère (Alice), à l’exception de ses dates de naissance et de décès. Moritz était le troisième fils du couple et a grandi dans le cocon familial dans les différentes garnisons de son père.

Après avoir obtenu son baccalauréat (1887), il avait l’intention de faire des études dans une école supérieure technique, mais son père était d’avis que Moritz Erwin « devait servir l’empereur et l’empire en tant qu’officier ».

 

Nach erlangter Maturität (1887) beabsichtigte er ein Studium an einer technischen Hochschule anzutreten, sein Vater aber war der Meinung, dass Moritz Erwin „als Offizier dem Kaiser und dem Reiche zu dienen habe“.

Colonel Moritz Erwin Freiherr von Lempruch, « Portrait de l’auteur », comme il désigne lui-même l’image dans son ouvrage « Ortlerkämpfe – Der König der Deutschen Alpen und seine Helden » (Les batailles de l’Ortles – Le roi des Alpes allemandes et ses héros).
Le colonel von Lempruch (au centre), flanqué de ses commandants Kalal, Hyza, Molterer et Cassek (de gauche à droite) ; image tirée de : Lempruch, le roi des Alpes allemandes et ses héros, collection : Knoll, archives : MUSEUM 14/18.

En conséquence, il fréquenta jusqu’en 1890, en tant qu’« élève », les trois classes de la section génie de l’Académie militaire technique impériale et royale située au 2, Stiftgasse à Vienne, où il obtint des résultats moyens.

Son certificat atteste qu’il avait « une compréhension assez rapide, un caractère joyeux, respectueux et plein de caractère, ainsi qu’un comportement courtois et très correct ».

À 19 ans, le jeune lieutenant fraîchement diplômé du régiment des chemins de fer et des télégraphes a commencé sa carrière professionnelle dans l’armée impériale et royale. Parallèlement à son affectation dans le régiment correspondant, il suit plusieurs cours de formation continue, principalement dans le domaine du génie. En 1899, un procès-verbal de l’académie militaire atteste de sa formation dans les matières suivantes : tactique, stratégie, fortifications, artillerie, géographie militaire, techniques de construction, électrotechnique et français.

Il fut ensuite affecté à l’état-major de la direction du génie à Trente, où il fut chargé de la construction de diverses positions défensives dans la vallée de Fiemme (Val di Fiemme) et au col du Rolle.

En 1900, von Lempruch fut nommé capitaine et recommandé en 1908 pour le grade de major dans l’état-major du génie. Il obtint cette promotion deux ans plus tard. Outre Vienne, les sources mentionnent Korneuburg, Trente, Theresienstadt, Cracovie et d’autres lieux comme lieux d’affectation.

De 1910 à 1913, il enseigne les matières techniques à l’Académie militaire.

Au début de la guerre, il s’occupe des installations de barrage dans le Tyrol et sert comme lieutenant-colonel à la direction du génie de Bressanone. De décembre à mars 1915, il participe à la construction de fortifications en Galicie, où il est déclaré avoir combattu « sous le feu ennemi ».

Après la déclaration de guerre de l’Italie, il retourne à Bressanone, où il tombe temporairement malade de la dysenterie et est promu colonel le 1er septembre 1915. À ce titre, il commande à partir d’octobre 1915 le groupe de combat sur le plateau de Folgaria et, en mars 1916, après le décès surprenant du colonel Abendorf, il est nommé commandant du secteur de défense de l’Ortler.

Lempruch était marié depuis 1905 à Maria-Viktoria, comtesse Sizzo-Noris. Deux enfants sont nés de cette union, une fille, Maria-Alix (1906), et un fils, Karl Heinrich (1907). Un autre fils (1917) est né d’une relation illégitime avec sa gouvernante à Prad.

Après la guerre, la famille von Lempruch s’installa à Innsbruck, où le colonel à la retraite coucha sur papier ses souvenirs du front, qui furent publiés en 1925 dans un ouvrage richement illustré intitulé « Der König der Deutschen Alpen und seine Helden – Ortlerkämpfe 1915/1918 » (Le roi des Alpes allemandes et ses héros – Les combats de l’Ortler 1915/1918). Entre-temps, il fut promu général de division hors service, sans doute en reconnaissance de ses services et afin d’augmenter le montant de sa pension. Aucune autre raison ne peut être avancée.

Veuf depuis 1930, le retraité passa ses dernières années à Wiedendorf (aujourd’hui Strass im Waldviertel) en Basse-Autriche. Il décéda le 19 février 1946 à l’âge de 75 ans et fut inhumé à Elsarn.

 

Bibliographie : Dans son récit des événements de la Première Guerre mondiale, Lempruch ne donne que peu d’informations sur sa personne. Son ouvrage a été réédité dans une version augmentée. Recommandation : Heinz König : « Gedenke, O Wanderer… » (Souviens-toi, ô voyageur…) : mosaïque biographique sur l’ingénieur Moritz Erwin Freiherr von Lempruch, général de division à la retraite. Région autonome du Trentin-Haut-Adige, sans lieu, 2012 et Helmut Golowitsch (éd.) : Ortlerkämpfe 1915–1918. Der König der Deutschen Alpen und seine Helden von Generalmajor Freiherrn von Lempruch, complété par des contributions historiques, Buchdienst Südtirol, Nuremberg, 2005.

La « position du lac doré »

À deux kilomètres au nord-est, presque à la même altitude que la Dreisprachenspitze, se trouvent les vestiges de l’ancienne position d’artillerie « Goldsee ».

 

 

Abri des observateurs d’artillerie dans la position Goldsee. Photo : archives MUSEUM 14/18

Le choix de cet emplacement pour les pièces d’artillerie et les matériaux utilisés pour l’extension soulèvent des questions. Les vestiges des bâtiments témoignent d’une construction solide. Contrairement aux installations situées le long de la crête, du béton a été utilisé et l’ensemble du complexe ne donne pas l’impression d’être une installation provisoire. Si l’on examine le concept de défense initial de l’armée impériale et royale pour repousser une attaque italienne par le col du Stelvio, beaucoup de choses deviennent claires. Ce que l’on trouve ici a été construit vers 1912 et constituait la protection du flanc gauche de la forteresse de Gomagoi. Vous trouverez de plus amples informations à ce sujet sur la page « Kleinboden ».

Bahnstation Goldsee01
Fondations de la station supérieure du téléphérique d’approvisionnement depuis Franzenshöhe. Photo : archives MUSEUM 14/18.
Wirkungsraum Goldsee Scorluzzo02
Zone d’observation et zone d’action principale de l’artillerie depuis la position du lac Goldsee. Au centre, le col du Stelvio et le sommet du Monte Scorluzzo. Photo : archives MUSEUM 14/18

L’effet des canons stationnés ici fut particulièrement important pendant les premiers jours de la guerre. Les canons et les obusiers soutinrent avec succès l’opération audacieuse visant à occuper le Monte Scorluzzo dans ses environs.

 

Un monument chargé d’histoire

À quelques mètres du Dreisprachenspitze, peu avant la borne frontière n° 3, trois plaques commémoratives particulières ont été érigées sur le sol suisse. L’inscription gravée sur les plaques de marbre rend hommage au « combat héroïque » des soldats austro-hongrois le long du front de l’Ortler en ces termes :

 

TREU BIS ZUM TODE

SEINEM KAISER UND APOSTOLISCHEN KÖNIG

SEINEM VATERLANDE UNS SEINER HEIMAT,

SEINER RUHMVOLLEN VORFAHREN WÜRDIG,

VERTEIDIGTE DAS IV. RESERVEBATAILLON DES UNGARISCHEN INF. REGTS. NR. 29

FREIHERR VON LOUDON

IN DEN KRIEGSJAHREN 1915, 1916, 1917 UND 1918

UNTER DEM KOMMANDO DES HAUPTMANN KALAL U. DES OBERSLTS. EDL VON KUNZE

DAS STILFSERJOCH

UND DIE VERSCHNEITEN, UNWIRTLICHEN, EISIGEN HÖHEN

VON DER DREISPRACHENSPITZE ÜBER DEN SCORLUZZO, DEN NAGLER

UND DEN KRYSTALLKAMM

RUHMVOLL UND OHNE EINEN SCHRITT ZU WEICHEN

GEGENÜBER EINEM TAPFEREN FEINDE IN MEHR ALS 40 GEFECHTEN.

SEIN GESEGNETER NAME BLEIBT FÜR IMMER VERBUNDEN MIT JENEN DER BERGE,

DIE STUMME ZEUGEN SEINES HELDENKAMPFES SIND:

SCORLUZZO, HOHE SCHNEID, TUKETTSPITZE, HINTERER MADATSCH U. KRYSTALLKAMM.

GEDENKE O WANDERER, DER DU HIER IN LICHTEREN ZEITEN VORBEIZIEHST

IN EHRFURCHT DERJENIGEN,

DIE, FERNE IHRER HEIMAT, TREU IN EISESSTÜRMEN, NOT UND TOD

DIES KLEINOD IN DER KRONE HABSBURGS SCHIRMTEN;

SIE JUBELTEN HIER AM 16. SEPTEMBER 1917 IHREM KAISER UND KÖNIG ZU,

DER SEINE TREUEN LANDESKINDER

UNTER FEINDLICHEN KANONENDONNER ZU BESUCHEN KAM.

DER WEISSE BERGTOD SOWIE DER TOD UNTER FEINDLICHER EINWIRKUNG HAT UNTER

DEN TREUEN SÖHNEN SÜDUNGARNS REICHE ERNTE GEHALTEN;

GOTT ABER NAHM SEINE HELDEN LIEBREICH UND GNÄDIG AUF.

ERRICHTET IM JAHR 1918

AUS SPENDEN DES TAPFEREN IV./29. RESERVEBATAILLONS

VON SEINEM RAYONSKOMMANDANTEN

OBERST FREIHERR VON LEMPRUCH

À l’exception du langage qui nous semble aujourd’hui quelque peu archaïque, rien ne semble ici sortir de l’ordinaire – mais alors, pourquoi ce monument se trouve-t-il en Suisse ?

 

Les plaques en marbre de Laas sur le Breitkamm. À gauche, un diptyque avec les noms de 44 officiers, au centre le texte reproduit ci-dessus en allemand, à droite la version hongroise. En haut des deux plaques, on reconnaît la couronne des Habsbourg (à gauche) et la couronne hongroise de Saint-Étienne. Photo prise en 2016, après l’achèvement des importants travaux de restauration réalisés par l’association Stelvio-Umbrail 14/18.

Les plaques commémoratives ne se trouvent plus aujourd’hui à leur emplacement d’origine. De plus, leur disposition ne correspond pas à celle d’origine. La date exacte de leur installation n’est pas connue, l’inscription mentionne la dernière année de la guerre (1918) comme année de construction. Les journaux intimes ne contiennent toutefois aucune indication sur les raisons ni sur la forme de l’inauguration du monument. On peut toutefois supposer que celle-ci s’est déroulée de manière solennelle dans le cadre d’une messe en plein air.

7047 009 Ruine Stevio I CH Grenze 1928
Les ruines de l’hôtel Dreisprachenspitze sur une photo prise en 1928. On reconnaît clairement les plaques commémoratives à leur emplacement d’origine, sous la borne frontière n° 2. Photo : archives MUSEUM 14/18.
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Disposition originale des panneaux. Photo prise par Rudolf Zinggeler dans les premières années après la guerre, probablement en 1919. Source : Archives fédérales des monuments historiques, collection Zinggeler, archives MUSEUM 14/18

L’histoire derrière l’histoire

Dans le cadre des mesures radicales visant à italianiser le Tyrol du Sud, le monument a été victime d’un acte de vandalisme. Il est impossible de savoir s’il s’agissait d’une action ordonnée par les autorités ou d’un acte spontané de partisans fascistes. Après l’annexion du Tyrol du Sud à l’Italie (1919), le gouvernement élimina tout ce qui rappelait la monarchie austro-hongroise. Les aigles à deux têtes furent retirés des bâtiments officiels, les inscriptions recouvertes… mais cela relève de l’histoire postérieure et dépasserait le cadre de cet article.

Nous savons qu’en juillet 1953, lors d’un voyage d’étude dirigé par le légendaire professeur Marcel Beck, un groupe d’étudiants en histoire de l’université de Zurich a été informé par un garde-frontière suisse de la présence des fragments de marbre. Ceux-ci ont été retrouvés non loin de leur emplacement d’origine, sur le versant de la route du Stelvio, et ont été récupérés par le groupe lors d’une « opération nocturne et clandestine ». Les gardes-frontières suisses du poste d’Umbrail ont ensuite été chargés d’assembler les fragments pour former un monument provisoire. L’emplacement de ce mémorial, qui a subsisté pendant les 20 années suivantes, n’est pas connu et il n’existe malheureusement aucune preuve photographique.

Marcel Beck se rendit une nouvelle fois au Dreisprachenspitze en 1972 et décida de prendre des mesures visant à « contribuer à la sauvegarde complète du monument ».

La restauration des plaques de marbre, composées de 14 fragments et de parties d’inscriptions manquantes, a été effectuée dans la marbrerie de Laas, là où les originaux avaient été fabriqués en 1918. La partie supérieure originale du diptyque, portant l’inscription 1915-1916 F.J.I. (pour l’empereur François-Joseph Ier) et 1917-1919 K. (pour l’empereur Charles) est restée introuvable et n’a pas été reconstituée. Le projet a de nouveau été financé par des dons, cette fois-ci principalement par les membres de l’association des officiers du canton des Grisons et du Lions Club Val Müstair.

En 1976, les panneaux devaient être érigés sur le Breitkamm, à leur emplacement actuel. Le fils de l’empereur Charles, Otto von Habsburg (1912-2011), et sa mère, l’impératrice Zita (1898-1989), qui vivait alors à Zizers, n’étaient pas présents lors de l’inauguration du mémorial, mais des lettres de remerciement pour leur soutien moral témoignent de la gratitude de la maison de Habsbourg pour cette initiative.

 

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Travaux de restauration 2015/2016 sur la Dreisprachenspitze. Photo : archives MUSEUM 14/18.
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Travaux de restauration sur place, pas toujours dans les meilleures conditions météorologiques. Archives MUSEUM 14/18

À l’occasion du centenaire, la solidité et la lisibilité des plaques de marbre ont été restaurées. Sur la base des documents originaux, l’inscription a été repeinte en noir et est aujourd’hui parfaitement lisible.

Un lieu idyllique pour se remémorer le passé et réfléchir à l’avenir. À l’arrière-plan, on aperçoit le Piz Umbrail en construction. Photo : archives MUSEUM 14/18.

Le « Schweizergraben »

Ne quittez pas la pointe des trois langues avant d’avoir découvert une autre particularité. Au pied de la terrasse de l’actuel restaurant Garibaldi, à quelques mètres au nord-est, on peut voir le tracé d’une tranchée qui revêtait une importance particulière. Il existe différents noms pour le désigner. Les sources mentionnent le « Schweizergraben » (fossé suisse), le « Lebensversicherung » (assurance-vie), mais aussi le « Paradegraben » (fossé paradisiaque) comme noms courants.

Cette position défensive autrichienne s’étendait sur le sol italien, à l’époque, exactement le long de la frontière avec la Suisse. Exactement signifie ici : à deux mètres de la frontière.

 

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La tranchée autrichienne sur le sol italien. Le poteau en bois visible au premier plan (à droite) marque la frontière suisse. Source : Archives fédérales, fonds E 27, archives : MUSEUM 14/18
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Observateurs dans le « Schweizergraben ». Source : Archives nationales autrichiennes de Vienne, archives numériques : MUSEUM 14/18

Ce fossé inquiétait quelque peu les Italiens, car il rendait presque impossible toute attaque contre l’ennemi retranché dans cette position. Tout tir avait inévitablement pour conséquence que des projectiles ou des ricochets tombaient en Suisse, ce qui équivalait à une violation de la neutralité de la Confédération, reconnue par les deux parties.

Représentation schématique de la situation frontalière au sommet trilingue, compte tenu des obligations découlant du droit de la neutralité. En bleu : bases suisses, en vert : installations et mouvements autrichiens, en rouge : positions et mesures italiennes. Les actions autorisées par le droit de la neutralité sont signalées par un signe de correction, les violations de la frontière par un « X ». Illustration : Accola, dans « 100 ans après la Première Guerre mondiale », série de conférences 2014, archives MUSEUM 14/18.

Les Italiens ont donc protesté auprès du commandant des troupes suisses contre l’utilisation de cette installation autrichienne comme tranchée de combat. Si l’ennemi continuait à riposter depuis la « tranchée suisse », l’Italie riposterait par des tirs d’artillerie, quitte à violer la frontière.
Les officiers suisses répondirent de manière pragmatique : « Dans ce cas, nous nous retirerons de la pointe trilingue et assurerons la protection de la frontière uniquement sur le col de l’Umbrail. » Cela ne pouvait pas être dans l’intérêt de l’Autriche, car la Suisse neutre garantissait la protection de ses installations d’hébergement sur le Breitkamm.
Grâce à la médiation de la Suisse, un compromis particulier fut trouvé : il était permis d’observer depuis le « fossé suisse », mais pas d’y ouvrir le feu. L’ancienne tranchée de combat devint alors un poste d’observation, puis rapidement un « fossé d’apparat ». Les accords conclus laissaient supposer qu’il n’y avait pas lieu de s’attendre à des tirs sur cette position. Quiconque se rendait dans la tranchée se trouvait donc « en sécurité » et les généraux profitaient ainsi de leurs visites au front pour inspecter les troupes « sous le grondement des canons ». L’autre nom donné à la tranchée, « assurance-vie », est donc tout à fait compréhensible.

 

L’empereur Charles (1887-1922) en visite le 16 septembre 1917. La photo montre le monarque après son retour de sa visite dans le « Paradegraben », qui était relié au système de positions dans les positions sur la crête frontalière (voir également à ce sujet l’illustration « Ascension le long de la frontière ». Photo : collection Knoll, archives MUSEUM 14/18.

le « chemin militaire ».

Même si le nom n’est pas très attrayant, c’est ainsi que l’on désigne localement le chemin d’approvisionnement suisse vers la Pointe des Trente Langues à partir du col d’Umbrail. Dans le cas idéal, des colonnes de mulets pouvaient approvisionner en marchandises le poste d’officiers de la Pointe des Trois Langues à partir du milieu de l’Umbrail ; mais souvent, le transport s’effectuait « à pied », au prix de grands efforts.

Seize virages en épingle à cheveux permettent de franchir un dénivelé de près de 400 mètres le long d’un sentier aménagé par la compagnie de sapeurs 6/3 durant la deuxième année de guerre. Le long du chemin, nous rencontrons deux postes de sous-officiers suisses – le « Frohburg » près de la borne frontière n° 3 et le « Splitterheim » près de la borne 6A.

 

Le « chemin militaire » du col Umbrail à la Pointe des Trois Langues sur un cliché du service archéologique du canton des Grisons en 2013. Dans le cadre d’un inventaire des monuments au sol, ce chemin a été recensé et classé comme tronçon de chemin d’importance historique et soumis à un projet de conservation correspondant. Image : Archives MUSEUM 14/18.

Les murs de soutènement et les descentes de pluie du « chemin militaire » sont actuellement dans un état déplorable. Même si un projet de rénovation de ce sentier est en cours, il faut en prendre soin. Nous demandons en particulier aux nombreux vététistes qui empruntent ce « trail », souvent en ignorant sa signification historique, de faire preuve de respect.

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Le « chemin militaire » Umbrail-Dreisprachenspitze. Source : Archives fédérales, fonds E 27, archives : MUSEUM 14/18

 

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Une colonne de mulets après l’approvisionnement de la Dreisprachenspitze sur le « chemin militaire ». Image : Archives fédérales, fonds E 27, archives : MUSEUM 14/18.
Le « Lempruchlager » dans son état actuel. Image : Archives MUSEUM 14/18.
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