Scorluzzo – sur les traces des tireurs de la Standschützen et des Alpini

Jusqu’en 1918, la frontière entre le royaume d’Italie et l’empire austro-hongrois traversait le col du Stelvio. Une frontière de rochers et de glace qui fut le théâtre de combats acharnés pendant la guerre de 1915-1918. Au centre des combats se trouvait toujours la même colline dominant le col du Stelvio : le Monte Scorluzzo. Le tronçon du chemin du même nom permet aux visiteurs de mieux comprendre le point de vue italien sur le conflit.

Sur le chemin menant au sommet et dans ses environs, les thèmes suivants sont abordés :

      • Le dispositif italien au début de la guerre
      • Les troupes italiennes dans le secteur d’engagement de l’Ortler
      • L’occupation du Monte Scorluzzo
      • Les  combats autour du Monte Cristallo – Hohe Schneid
      • Les efforts politiques pour pacifier le secteur du Stelvio
      • La fin de la guerre

Point de départ : Stilfserjoch – Arrêt inférieure de la ligne de Carpostal suisse

Point d’arrivée : passage de la frontière entre la Suisse et l’Italie (Quarta Cantoniera)

Durée : 5 à 7 heures

Balisage : blanc-vert-rouge

Exigences : bonne condition physique et avoir le pied sûr, niveau technique : T2, T3 par endroits

 

 

 

 

ITINÉRAIRE « SCORLUZZO »

 

 

A : Batterie « Ferdinandstellung » – B : Passo delle Plattigiole – C : « Petit Scorluzzo » – D : Point d’appui du sommet – E : Position de flanquement autrichienne  et passage vers la « Terra di nessuno » (no man’s land) – F : position de flanquement et tranchée italienne  – G : Point d’appui sur le Filone del Mot – H : le « village des Alpinis » sur le Filone del Mot – I : ligne d’arrêt sur le Piano di Scorluzzo – K : Lago di Scorluzzo – L : positions sur le Rese di Scorluzzo – M : position d’artillerie sous roc « Lago alto »

UN ITINÉRAIRE DU POINT DE VUE DE L’HISTOIRE MILITAIRE

Une description complémentaire et détaillée de l’itinéraire figure dans le guide de randonnée « Der militärhistorische Wanderweg Stelvio-Umbrail » (Le sentier de randonnée militaire Stelvio-Umbrail) à partir de la page 72. Les explications suivantes mettent en lumière les lieux situés le long du parcours et précisent leur importance historique.

Col du Stelvio – Passo delle Plattigiole

Quittez le col du Stelvio (à la station inférieure du téléphérique) en direction du sud sur la route en forte montée. Après le deuxième virage en épingle à cheveux, vous tombez sur les vestiges de la position d’artillerie autrichienne. Trois canons sous roc formaient la « position Ferdinand ». Les trois casemates creusées dans la roche (friable) se trouvaient exactement sur la frontière d’alors entre les deux nations belligérantes. En vous tenant sur la route, vous êtes en territoire italien, mais si vous escaladez les rochers sur votre gauche, vous vous retrouvez dans l’ancienne Autriche. L’accès aux cavernes, qui n’étaient pas reliées entre elles, se faisait par l’arrière de la crête rocheuse.

La direction de tir des canons peut être déterminée grâce aux limites latérales des ouvertures dans la roche, encore visibles aujourd’hui. La zone des buts comprenait d’une part le passage frontalier italo-suisse sur le col de l’Umbrail avec le point d’appui italien qui s’y trouvait, et d’autre part toute la zone intermédiaire le long de la route du col ainsi que la position d’artillerie creusée dans la roche par les Italiens au Laghetto alto.

Les emplacements des canons de la « position Ferdinand » sont encore accessibles, mais il faut faire attention aux risques d’effondrement.

 

Scorluzzo 02
La bouche à feu recouverte de bois de la caverne centrale de la position Ferdinand en 2007. Notez l’angle de dérive très limité.
 
02 Geschütz Felskaverne Feuer Mannschaft
L’un des « canons Ferdinand » en position. On utilisa de simples canons de montagne de calibre 7,5 cm, qui n’étaient pas vraiment conçus pour servr comme pièce de forteresse.
 

Sur la droite, quelques mètres en contrebas de la route, on aperçoit une ligne bien visible qui pourrait être interprétée comme une ancienne « trace de chemin ». Il s’agit en réalité du tracé des obstacles d’infanterie qui avaient été érigés à l’époque pour protéger la position de l’artillerie.

Umbrail öst Stell Ferdinandshöhe
Le passage du col du Stelvio a été sécurisé à l’été 1915 contre les attaques d’infanterie à l’aide d’obstacles de barbelés. A gauche du centre de l’image, on aperçoit les bâtiments situés au sommet du col, à droite, la position Ferdinand émergeant de la neige et, à l’horizon, la Naglerspitze, qui était également occupée par les troupes autrichiennes.
Österreichisches Drahthindernis Am Scarluzzo CH BAR 3239151.tif
La position de Ferdinand pendant l’hiver 1915/16. À droite sur la photo, on reconnaît l’obstacle d’infanterie destiné à protéger la position, dont le tracé est encore bien visible aujourd’hui. À l’horizon, à droite, le sommet du « Petit Scorluzzo » avec la base autrichienne située sur l’éperon rocheux. Le passage sous le sommet (à gauche) est le col Passo delle Plattigiole. La route actuelle menant au Monte Livrio n’existait bien sûr pas encore.

Ce n’est qu’une fois arrivé au col Passo delle Plattigiole que l’on comprend véritablement l’importance  du Monte Scorluzzo pour les considérations tactiques de  l’époque. Devant nous s’étend la vallée escarpée Valle dei Vitelli (vallée des veaux), qui commence en pente douce avant de devenir raide à hauteur de la deuxième Cantoniera dans la Valle Braulio, où elle rejoint l’actuelle route du Stelvio.
Quiconque voulait atteindre le col du Stelvio depuis la Valteline avait donc deux options : soit emprunter la route à grande capacité  qui traverse la Valle Braulio (actuelle route carrossable) soit le contournement par la Valle dei Vitelli.
Ce passage était par conséquent sécurisé par un système de positions défensives destiné à repousser toute tentative d’attaque. Ce système s’étendait du pied de la Naglerspitze, qui se trouve à gauche du col Passo delle Plattigiole, jusqu’aux contreforts du « Petit Scorluzzo », au pied duquel se trouve le point le plus bas du passage.

 

Rechter Flankenschutz Der Kleinen Scorluzzostellung (8)
Le col Passo delle Plattigiole, vu depuis la montée vers le « Petit Scorluzzo ». À droite de l’image, on aperçoit la vallée Valle dei Vitelli. À droite de la route, on distingue le tracé de la ligne d’infanterie qui devait empêcher une avancée italienne le long de cet axe.
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La jonction de la Valle dei Vitelli avec la vallée de Braulio. Une poussée avec des forces militaires dans cette région sauvage n’était possible, si tant est qu’elle l’était, qu’en cas de mauvaise visibilité.

Passo delle Plattigiole – Petit Scorluzzo

Lors de l’ascension vers le Scorluzzo, après avoir atteint le premier palier, nous quittons le sentier officiel (balisé en rouge et blanc) et restons sur la droite pour atteindre quelques mètres plus loin un plateau remarquable. Nous traversons alors pour la première fois un système de tranchées perpendiculaire à la position d’arrêt du col Passo delle Plattigiole et tombons sur des cratères d’impact qui témoignent des tirs de l’artillerie italienne.

Le système de tranchées fait partie de la position de flanquement du col et il n’est pas difficile d’imaginer son déroulement dans le contexte des réflexions tactiques lorsque l’on a à l’esprit le principe suivant.

Imaginez un fer à cheval ou un « U » couché, sa base (c’est-à-dire l’arc) se trouvant à l’endroit de la position de d’arrêt et les deux côtés orientés vers l’ennemi. Celui qui occupait ce « fer à cheval » était en mesure d’attaquer l’ennemi simultanément depuis trois côtés. Avec cette image en tête, vous pourrez comprendre le tracé de n’importe quel système de position défensive. Bon à savoir : il existait des « fers à cheval » de différentes tailles. Il y avait donc des « U » très petits et étroits, mais aussi très grands et larges. Le principe était toutefois toujours le même. Et plus important encore : les Italiens utilisaient également cette tactique pour choisir leurs positions.

Les traces laissées par l’artillerie montrent quant à elles la volonté de l’attaquant de neutraliser ces positions afin de pouvoir mener une attaque sans être directement exposé aux tirs ennemis.

 

 

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La « Feldwachenlinie » (littéralement « la ligne de défense des gardes champêtres » creusée dans la roche au bord du plateau du « Petit Scorluzzo ». La meurtrière reconnaissable permet un tir de flanquement sur le passage du Passo delle Plattigiole.
Schuetzengraben Am Plateaurand
Les tranchées de communication et de combat sur la première ligne de crête du plateau. Ceux-ci étaient occupés lorsqu’une alerte était donnée par la Feldwachenlinie (photo à gauche).
Plan de la position du « Petit Scorluzzo », reproduit d’après une esquisse originale du commandant du front de l’Ortler, Moritz Freiherr von Lempruch. Représentation : David Accola d’après des documents originaux provenant des archives Schaumann, Vienne.

À l’extrémité est du plateau – désignée par « caverne » sur le plan ci-dessus –, nous tombons sur les fondations bétonnées de la station du téléphérique. Ce téléphérique assurait le soutien logistique de la base du Scorluzzo depuis le col du Stelvio (désigné par « Ferdinandshöhe » sur le plan). Le béton était à l’époque une denrée rare et n’était utilisé que lorsque sa résistance était absolument indispensable.
Le du point d’appui proprement dit au sommet du « Petit Scorluzzo », était orientée dans deux directions. De là, il était possible de couvrir de feu l’avant-terrain du passage du col du Stelvio du côté de Braulio (au nord) et de repousser une attaque venant de la Valle dei Vitelli (au sud).

 

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Zone d’efficacité de tir depuis le point d’appui sommital sur l’avant-terrain du Stilfserjoch. Au centre de l’image, le col de l’Umbrail, reconnaissable à droite : le sommet de la Dreisprachenspitze.
Blick Vom Gipfel Zum Nagler Und Zum Cristallo
La tranchée de combat au sommet du « Petit Scorluzzo ». À l’arrière-plan (au centre), la Naglerspitze, également occupée par les Autrichiens, et à droite, la « Hohe Schneid », où les Alpini et les Standschützen s’affrontaient à portée d’un jet de pierre.

Nous atteignons le sommet du « Grand Scorluzzo » par le chemin pédestre officiel. Celui-ci longe la crête gauche (sud) en pente raide et suit exactement l’ancien boyau de communication qui reliait le « Petit » au « Grand Scorluzzo ».

Grand Scorluzzo

Immédiatement après le début de la guerre, c’est-à-dire début juin 1915, des patrouilles d’Alpinis occupèrent le sommet. Celui-ci se trouvait déjà à l’époque en territoire italien et offrait une vue sur la vallée de Trafoi, désormais disputée. Les mouvements de troupes autrichiens pouvaient être ainsi rapidement repérés, pour autant qu’il fasse beau temps.

La défense du territoire du point de vue viennois

Jusqu’au début de la guerre, l’Autriche-Hongrie avait pour stratégie défensive de repousser toute avancée italienne dans les fonds de vallées, mais en aucun cas en altitude sur la ligne de crête des montagnes où se situait la frontière proprement dite. La « barrage routier de Gomagoi » (à l’embouchure de la vallée de Suldental dans la vallée de Trafoi), érigée entre 1860 et 1862, s’imposait du point de vue de l’état-major autrichien, et des lignes de défense préparées en conséquence s’appuyaient sur cette barrière. Mais il s’agissait là d’une « pensée d’avant-guerre » qui fut dépassée par la nouvelle situation.

Pour plus de détails sur le dispositif défensif autrichien, veuillez vous reporter à l’article correspondant sur la page « Kleinboden ».

 

La défense nationale du point de vue tyrolien

Les soldats mobilisés pour défendre leur pays ont jugé cette décision de Vienne comme une grave erreur, car ils venaient d’une région directement touchée par le déclenchement de la guerre. Ils exploitaient des fermes et des alpages près de la frontière qui, selon les intentions de Vienne, devaient être cédés sans combat. Cela allait totalement à l’encontre de leur conception de la défense nationale. « Notre pays commence à la frontière, et non là où les Viennois le souhaiteraient », tel était l’avis largement répandu parmi la population locale, et cela allait avoir des conséquences.

L’opération commando d’Andreas Steiner

Le 4 juin 1915, le capitaine de gendarmerie Andreas Steiner décida de mener une opération qui allait influencer de manière décisive le cours de la guerre sur le front de l’Ortler. Avec environ 40 hommes répartis en trois groupes, il repoussa les Italiens du sommet du Monte Scorluzzo. Cette attaque eut lieu par mauvaise visibilité et fut précédée d’un tir d’artillerie depuis la position du lac Goldsee. Le Scorluzzo fut ensuite occupé de manière permanente et resta aux mains de l’Autriche jusqu’à la fin de la guerre. Ce qui fut décrit plus tard dans les rapports comme un acte héroïque ne retint toutefois guère l’attention pendant les premiers jours de la guerre.

Le journal du commandement responsable de la défense du secteur de l’Ortler note le 4 juin 1915 :

« La cabane construite par les Italiens au Scorluzzo a été détruite par notre propre artillerie. Après le retrait des Italiens, notre patrouille a trouvé des sacs de couchage, des manteaux, des ustensiles de cuisine, etc.

La division signalée à la IIIe Cantoniera a continué à se retirer vers Bormio.

À Bochetta di Forcola, les travaux d’aménagement de la position se poursuivent.

Sinon, rien de nouveau. »

Cette notice du journal laisse supposer que l’occupation du Scorluzzo n’était pas une attaque d’infanterie au sens classique du terme. Les troupes italiennes se sont retirées du sommet en raison des tirs d’artillerie, après quoi celui-ci a été occupé sans combat par le détachement Steiner.

 

Besetzung Scorluzzo
L’occupation du Monte Scorluzzo et ses conséquences immédiates. Source : Accola, documentation Stilfserjoch-Umbrail 1914-1918
Andreas Steiner
Le capitaine Andreas Steiner, le « héros » du Scorluzzo, posa peu après sa candidature pour l’ordre de Marie-Thérèse, qui lui fut toutefois refusé. Vienne considéra son action comme « contraire à l’intention de guerre „.
Occupation des positions élevées

L’occupation du Scorluzzo eut pour conséquence que toute la ligne de défense autrichienne dut être déplacée. Les positions de barrage initiales furent désarmées et les canons placés sur les hauteurs dominantes, comme sur le Monte Livrio, la Naglerspitze et bien sûr au sommet du Scorluzzo.

 

Le point d’appui au sommet du Scorluzzo d’après une esquisse de Moritz von Lempruch. Illustration : David Accola d’après des documents originaux provenant des archives Schaumann, Vienne.
Le camp de base

Une fois arrivés au sommet du Monte Scorluzzo, nous tombons tout d’abord sur les vestiges de l’abri creusé dans la roche, indiqué par le numéro 1 sur le croquis ci-dessus. Lempruch le décrit comme l’abri d’un « essaim », ce qui correspond dans le jargon militaire actuel à un « groupe » (soit 8 à 10 hommes).

Le tracé du boyau de communication et de la tranchée de combat nord est facilement reconnaissable. Les autres infrastructures de combat sont très difficiles à localiser sur le terrain. Les cavernes se sont effondrées et leurs entrées sont pratiquement introuvables.

Si l’on additionne les informations fournies par Lempruch concernant la capacité d’hébergement disponible (deux sections et trois groupes), on peut estimer l’effectif présent sur le Monte Scorluzzo à une petite compagnie (environ 90 hommes).

 

 

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L’entrée du cantonnement pour un groupe   aménagé dans une caverne sur le mont Scorluzzo
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Le canon de campagne creux 75 (9 cm) qui fut mis en position au sud de la base. (Photo : collection Knoll, archives Stelvio-Umbrail 14/18)

Descente vers le Filone del Mot

La descente depuis le sommet s’effectue par l’arête orientée sud-ouest vers le Filone del Mot. Ici aussi, nous tombons sur des positions autrichiennes qui avaient été érigées pour protéger le point d’appui du sommet. Alors qu’aujourd’hui, le chemin suit principalement la crête, les soldats autrichiens devaient veiller à ne pas se montrer sur cette ligne de crête. Celle-ci était facilement visible depuis les positions italiennes sur le Filone del Mot et chaque mouvement pouvait être observé avec précision, à condition que la visibilité soit bonne. Une salve des Alpini était alors la conséquence logique de cette observation.

Au pied de la formation rocheuse compacte, nous tombons sur les dernières traces des tireurs d’élite, la garde de campagne. Elle est facile à trouver. Au plus tard lorsque vous franchissez les obstacles de fil de fer encore présents (aujourd’hui couchés au sol), vous avez dépassé leur emplacement. Cet obstacle de fil de fer s’étendait perpendiculairement à la crête et allait jusqu’au milieu du flanc ouest du Scorluzzo.

 

 

Scorluzzo 12
Les restes de l’obstacle métallique destiné à protéger le point d’appui du sommet, près du poste de garde autrichien au Filone del Mot
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L’arête sud-ouest du Scorluzzo avec l’emplacement de la garde de campagne autrichienne et le tracé de l’obstacle en fil de fer barbelés encore visible aujourd’hui. Vue depuis le « no man’s land » au Filone del Mot.

terra di nessuno – le no man’s land

Les quelque 300 mètres (à vol d’oiseau) entre le poste de garde autrichien au pied de la pyramide du Scorluzzo et le premier point d’appui italien sur le Filone sont appelés « no man’s land ». Cette zone ne comportait ni points d’appui ni obstacles, mais se mouvoir dans cette zone vous exposait « à vous prendre du plomb ». Les approches des positions ennemies n’avaient de chances d’aboutir que si l’adversaire ne voyait rien, dormait ou devait affronter des conditions météorologiques souvent exécrables, c’est-à-dire dans le brouillard, la nuit ou la tempête.

 

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À ce stade, dans ce no man’s land, vous devriez les avoir rencontrés. Sans importance historique, mais d’une beauté saisissante. S’ils ne vous laissent pas passer, soyez patients et profitez de l’instant.
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En atteignant le premier avant-poste des Alpini, vous quittez le no man’s land. Ce qui frappe, c’est que les Italiens étaient déjà à l’époque de meilleurs muratori (maçons) et cette impression se confirmera par la suite.

LE LONG DU FILONE DEL MOT

Monte Cristallo – Haute Schneid

Sur le chemin qui longe le Filone, la silhouette imposante du Monte Cristallo domine le paysage sur la gauche. Le sommet rocheux (à droite) a été occupé par les Italiens en octobre 1916 et rendu accessible grâce à un téléphérique. Cela permit aux Alpinis de prendre sous leur feu le point d’appui autrichien situé sur le Monte Scorluzzo.

Au cours de l’hiver 1916-1917, les Autrichiens creusèrent un tunnel d’attaque depuis la Naglespitze à travers le glacier Cristallo et la paroi de glace, alors beaucoup plus imposante, et occupèrent le sommet glacé le 17 mars.

À une distance de jet de pierre de là, les avant-postes des Standschützen et des Alpini se faisaient face, et l’on imagine aisément que sur ce poste de garde glacé, la guerre se livrait sous une forme bien différente de celle à laquelle on s’attendait à Rome et à Vienne. Des anecdotes racontent que les occupants des sommets fraternisèrent, allant parfois jusqu’à échanger des vivres.

 

 

Représentation des positions autrichiennes et italiennes sur la Hohe Schneid (situation à l’automne 1918). Publié avec l’aimable autorisation du Kaiserjägermuseum Innsbruck.
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Travaux d’avancement dans la galerie d’attaque vers la Hohe Schneid : image d’archive 14/18, collection Schaumann
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Die italienische Cristallo-Stellung aus der Sicht des österreichischen Stützpunkts auf der Hohen Schneid: Bild Archiv 14/18, Sammlung Schaumann

LE POINT D’APPUI ITALIEN SUR LE FILONE DEL MOT

Nous suivons le sentier de randonnée qui longe la crête pour visiter le point d’appui d’infanterie sur le Filone. Le chemin est en très bon état, car il est soutenu par un solide mur côté pente. Si vous aviez emprunté ce chemin il y a plus de 100 ans, vous n’auriez rien vu et (mieux encore) vous n’auriez pas été vu. Le sentier de randonnée suit l’ancienne tranchée d’accès au poste de garde de campagne que vous venez de passer.

Juste avant la dernière montée vers la crête du Filone, nous quittons le chemin officiel et le contournons par la gauche. Quelques mètres en contrebas de la crête, nous tombons sur un impressionnant boyau de communication qui mène au point d’appui mentionné sur le Filone.

 

 

Abri d’observation près du point d’appui Filone, avec le mont Scorluzzo en arrière-plan.
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Accès au point d’appui, protégé contre les regards indiscrets et les éclats d’artillerie.
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Vue d’ensemble du point d’appui
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Restes de cantonnements dans la descente depuis le point d’appui. La troupe du point d’appuidu Filone a été hébergé et nourri ici.

 

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Même 100 ans après leur création, le système de tranchées est encore en très bon état.

DU FILONE AU « MACHU PICHU »

Immédiatement après avoir quitté le point d’appui du Filone, nous abandonnons les positions de combat et pénétrons dans la zone arrière, qui a été aménagée pour le soutien logistique. Les fondations des bâtiments qui bordent le chemin sont impressionnantes et témoignent du fait que les Italiens ont logé ici un grand nombre de soldats.

Nous tombons sur des bâtiments servant de cantonnements et les vestiges d’une cuisine de campagne – du moins, c’est ce que laisse supposer la présence d’une multitude de boîtes de conserve à proximité immédiate.

 

 

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Restes d’hébergement dans la descente depuis la base. L’équipage de la base du Filone a été hébergé et nourri ici.
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Les différents bâtiments pouvaient accueillir jusqu’à 60 soldats. L’espace était étroit et étouffant, mais au moins à l’abri des intempéries et au chaud.

« MACHU PICCHU » – LE PETIT VILLAGE DES ALPINIS AU PIED DU FILONE

Le légendaire village inca des Andes péruviennes a été découvert en 1911. Il n’est donc pas surprenant qu’il ait été comparé au petit village alpin situé au pied du Filone del Mot, car tout comme son modèle, il est perché au-dessus du Val Braulio.

L’appellation « un vero piccolo machu picchu » figure également dans des documents officiels et des journaux intimes, de sorte que son utilisation semble légitime, même si les dimensions diffèrent de celles de l’original.

Il n’est pas possible de déterminer avec certitude combien de soldats étaient logés dans le village alpin. Mais si l’on part du principe qu’une à deux compagnies y trouvaient refuge, on ne devrait pas être loin de la vérité.

Le « Machu Picchu » était ravitaillé par un téléphérique depuis la vallée de Braulio, dont la station inférieure se trouvait près de la 3e Cantoniera, non loin de l’ancien cimetière militaire.

 

 

 

Un petit « Machu Picchu » au Filone del Mot. Photo prise en 2017.
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En 2012, le site « Machu Picchu » a été soigneusement restauré par les employés du parc national du Stelvio. Cette photo date de 2007, avant les travaux.
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La reconstruction miniature du « petit village des Alipinis » , telle qu’elle peut être admirée aujourd’hui au MUSEUM 14/18.
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Malheureusement, le nombre et la qualité des photos restantes de l’impressionnant village des Alpinis du Filone sont extrêmement limités. Photo : Archivo Museo Vallivo Valfurva ; publiée dans : Belotti, Walter, dallo Stelvio al Garda, alla scoperta dei manufatti della prima guerra mondiale.

 

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Plan du village des Alpinis, plan : archives du Comité lombard du parc national du Stelvio ; publié dans : Belotti, Walter, dallo Stelvio al Garda, alla scoperta dei manufatti della prima guerra mondiale (Du Stelvio au Garda, à la découverte des vestiges de la Première Guerre mondiale).

Mesures défensives italiennes dans la vallée de Braulio

Depuis le belvédère du petit village des Alpinis, on découvre pour la première fois la vue impressionnante sur la profonde entaille de la vallée en direction de Bormio. La deuxième ligne de défense italienne se trouvait juste au pied de la crête qui descend en pente raide.

Les Italiens se préparaient eux aussi à une attaque autrichienne et prenaient les mesures défensives qui s’imposaient.

 

Les mesures défensives italiennes dans la vallée de Braulio, dans l’hypothèse d’attaques autrichiennes dans la Valteline (flèches discontinues). Illustration complétée tirée de : Accola, Fuhrer : Stilfserjoch-Umbrail 1914-1918, documentation, 2000, Au-Wädenswil.

Du « Machu Picchu » au Rese di Scorluzzo

La descente du « Machu Picchu » s’effectue par le flanc nord-ouest, ou, en termes militaires, dans l’avant-terrain. On ne trouve donc ici aucun vestige de fortifications. Seules quelques poutres en bois et des restes de grillage métallique jonchent le sentier. Ceux-ci ont probablement été transportés au fil des ans par des avalanches provenant du Filone jusqu’à leur emplacement actuel. Mais ils n’ont aucune importance historique.

En atteignant le plateau verdoyant au pied du Monte Scorluzzo, appelé « Piano di Scorluzzo » sur les cartes, nous tombons à nouveau sur des positions défensives italiennes. Le tracé de la ligne de défense, qui suit en ligne droite la crête, est facilement reconnaissable malgré la végétation qui a repoussé. On peut supposer que la ligne n’a jamais été renforcée par un système de tranchées, bien que les conditions du sol l’auraient facilement permis ici. Cela se comprend toutefois compte tenu de la zone d’attaque potentielle de l’Autriche. Une attaque de ce type aurait dû être lancée depuis le sommet du Monte Scorluzzo en descendant par son flanc nord-ouest escarpé et exposé à presque tous les canons italiens. Il s’agissait donc d’une entreprise extrêmement risquée.

Le « principe du fer à cheval » expliqué au Passo delle Plattigiole se retrouve également sur le Piano del Scorluzzo, mais sous une forme beaucoup plus étendue. Le flanc droit était assuré par le Filone del Mot et le flanc gauche par le Rese di Scorluzzo, l’arête nord-ouest caractéristique du sommet qui a donné son nom à la région.

Nous suivons pendant un court moment le torrent limpide, bordé de jolies linaigrettes, puis nous tournons légèrement à droite et montons un peu pour atteindre le Lago del Scorluzzo. Le niveau d’eau de ce lac de montagne presque circulaire dépend de la fonte des neiges. Il ne dispose ni d’affluent ni d’émissaire en surface. Il n’est donc pas surprenant que ce lac, plein à ras bord au début de l’été, ne soit plus qu’une flaque d’eau à la fin de l’été, en particulier après des mois d’été peu pluvieux.

 

 

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À gauche sur la photo : le tracé de la ligne de défense italienne sur le Piano di Scorluzzo, à droite le cours d’eau qui s’éloigne.
Lago Und Monte Scorluzzo
Vue depuis la pointe nord de la ligne de défense sur le lac de Scorluzzo. Le sommet du mont Scorluzzo, avec la crête qui descend vers le Filone del Mot à droite, domine l’arrière-plan. À gauche, on aperçoit le Rese di Scorluzzo et l’imposante avant-crête.

le rese di scorluzzo

L’ascension vers cette prolongation du sommet intéressante d’un point de vue historique et militaire s’effectue à l’extrémité nord du Piano di Scorluzzo, par des sentiers faciles à trouver et très escarpés.

Les sentiers du Rese ne sont pas balisés et ne sont pas entretenus. Une visite vaut toutefois le détour pour les passionnés d’histoire militaire. Il faut toutefois tenir compte du fait que le Rese, à 2887 m d’altitude, s’avère être une « impasse ». L’ascension du sommet principal du Scorluzzo, à travers le « no man’s land » qui s’y trouve, est réservée aux visiteurs aptes à l’escalade. La roche est très friable et il est fortement déconseillé de s’y aventurer sans s’encorder.

Sur la partie « accessible » du Rese, nous découvrons des positions impressionnantes et étonnamment bien conservées, d’où il était possible de faire un appui de feu tant en direction du Piano di Scorluzzo que du « Lago alto », la position d’artillerie italienne que nous rencontrerons plus tard. L’effectif du Rese était d’environ une section (environ 30 hommes), qui trouvait refuge ici dans des abris très rudimentaires. Les fondations de ces infrastructures sont encore visibles et peuvent être interprétées.

 

 

Aufgang Zum Rese Di Scorluzzo
L’un des nombreux escaliers encore bien conservés menant à la Rese di Scorluzzo.
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Une tranchée sur le Rese pour couvrir le flanc de la position sur le Piano di Scorluzzo.

La position d’artillerie Lago alto

Depuis les contreforts du Rese di Scoluzzo, en suivant les traces du sentier restant au même niveau et après environ 300 mètres, en montant légèrement à droite, nous arrivons sur une large route carrossable. Nous nous trouvons maintenant sur la route militaire qui a été construite à partir de la 3e Cantoniera pour approvisionner la position d’artillerie Lago alto.

Nous suivons cette route et l’atteignons après une bonne dizaine de minutes de marche. La route carrossable nous mène directement aux casemattes souterraines, rénovées en 2012.

Les canons qui s’y trouvaient avaient à la fois un rôle offensif et défensif. L’orientation des cavernes nord permettait couvrir de feu l’avant-terrain et les abords du col du Stelvio ainsi qie la zone frontière avec la Suisse. L’orientation des cavernes sud et la portée des canons permettaient de pilonner les positions autrichiennes sur le col et jusqu’à Trafoi. Cette dernière possibilité constituait toutefois une violation de la neutralité de la Suisse et n’a été utilisée que très rarement après des objections. Vous trouverez des informations plus détaillées sur ce sujet passionnant sur la page « Trais Linguas ».

Après 20 minutes supplémentaires le long du sentier de randonnée bien balisé, nous atteignons la route du col du Stelvio.

 

 

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L’accès à la position d’artillerie sous roc au Lago alto.
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Lago alto – un charmant lac de montagne… qui invite les plus téméraires à se baigner dans une eau (vraiment) fraîche juste avant la fin de la randonnée.
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